"C'est quoi ce bordel ?!"

Aaron ouvrit les yeux en sursaut. Il était couché et releva son buste d'une contraction des abdos. Où était-il ? Il revoyait le coup partir. Bien placé et imparable, fallait dire qu'à onze contre un, ils avaient fait fort cette fois-ci. Mais après ? Le trou noir. Complètement. Il se remémorait parfaitement bien sa dernière journée, mais ne voyait pas du tout comment il avait pu atterrir... Où était-il, en fait ?

Il pensait qu'il allait se réveiller là où il était tombé ou à l'hôpital, si une âme charitable avait bien voulu appeler les ambulanciers. Mais cet endroit ne ressemblait ni à l'un ni à l'autre. Il regarda ses bras, à la recherche d'hématomes ou de bandages. Rien. Pas une trace d'une quelconque bagarre. Même ses cicatrices d'enfance avaient disparues !

"Mais... Mais c'est quoi ce bordel ?!"

Le jeune adolescent décida de se lever et d'aller voir où il se trouvait. Même s'il ne le savait pas, il devinait que de toutes façons, ça ne pouvait pas être pire que dans sa banlieue. Alors autant profiter...

Soudain, une voix l'arrêta, alors qu'il allait sortir de la grande salle où il se trouvait. Il se retourna et vit un homme d'une trentaine d'années, mais habillé et coiffé de façon plutôt... étrange...

"Bonjour jeune homme !"

Newton était doté d'une certaine propension à la solitude. Pas la solitude triste où l'on s'isole pour jouer son misanthrope, simplement la solitude qui laisse réfléchir. C'est en de pareils moments qu'il avait eu son idée sur la théorie de la gravitation universelle...

A cette seule pensée, il s'arrêta soudain, dans l'expectative, pétri d'effroi. Heureusement pour sa tête, aucune pomme ne survint.

Isaac reprit son bonhomme de chemin, qui l'amena vers la Salle. Drôle d'idée que celle-là, mais il avait pour habitude de se laisser guider par ses pas. Après tout, se remettre à la Providence, c'était comme s'en remettre à Dieu. Voire même, c'était s'en remettre à Dieu. Sauf que les convictions du savant n'étaient pas aussi fermes qu'elles l'avaient été. Des questions le hantaient, des questions qui se révèlaient plus problématiques qu'autre chose. Fondées sur les paradoxes de ce monde, elles semblaient mener tout droit à des conclusions qu'Isaac se refusait à faire.

Et pourtant...Première question : qu'était ce lieu ? Deuxième : que faisait-il ici ? Troisième : combien de temps s'était écoulé depuis son réveil dans la Salle ?

Questions sans réponses dont les réponses amèneraient malheureusement - et en tant que savant, Isaac ne le savait que trop bien - d'autres questions.

Il entendit alors des jurons, provenant de la Salle. Quelqu'un d'autre qui arrivait ici. Ici...Au Purgatoire. Au Paradis pour certains. Ou quel que soit le nom que l'on donne à ces lieux. Isaac chassa ses pensées vagabondes, pour se rapprocher du lieu de l'action. Et quand il vit qu'il n'y avait personne d'autre que lui et le nouvel arrivant, il décida tout naturellement de se laisser aller à quelques politesses.

" Bonjour, jeune homme ! "

Son sourire se rapetissa quand il vit l'accoutrement d'Aaron, et sa tenue. Sûrement pas un élève de Cambridge, ça non ! Isaac décida de se présenter, lui que l'on ne présentait plus. Juste au cas où.

" Je suis...J'étais Sir Isaac Newton. Et qui êtes-vous ? "

Aaron était resté immobile et et muet un instant, en dévisageant de haut en bas l'homme qui était venu à sa rencontre. Il était vraiment bizarre... Il portait une espèce de perruque blanche immonde et des fringues serrés et ridicules. Pourtant il n'avait pas l'air d'un attardé ou d'un fou...

*C'est QUOI cet ENDROIT ?!*

"Heu... Salut."

A défaut d'une présentation approfondie de lui-même, Aaron se contenta de saluer l'homme tout en continuant à le dévisager. Il avait que ce n'était pas une attitude des plus polies, mais c'était bien le dernier de ses problèmes. Il aurait voulu savoir où il se trouvait, pour avoir une petite idée de comment arranger ses affaires ici. Peu lui importait de retourner chez lui en fait, parce que sa vie n'était pas vraiment idyllique, là-bas... Au bout d'un moment de silence complet, Aaron se passa la main dans les cheveux et releva la tête, regardant l'homme dans les yeux, puis reprit enfin parole :

"Aaron."

Il tendit la main vers l'homme en guise de salutation. Il ne savait pas trop quoi faire, mais se disait que s'il pouvait s'éviter des ennuis le plus longtemps possible, ça ne pourrait lui être que bénéfique. Le jeune adolescent essaya de faire un beau sourire, mais ses zygomatiques semblaient ne pas vouloir obéir, comme si ils s'étaient figés à force de ne pas servir... Soudain Aaron se remémora les paroles de Isaac comme un flash-back. Son nom lui disait quelque chose, mais il n'arrivait vraiment pas à savoir quoi. Et puis, ses paroles étaient étranges...

"Z'avez un nom bizarre... Vous v'nez pas d'Angleterre par hasard ? Et puis pourquoi vous disez "j'étais", d'abord ? Z'êtes bien là j'crois."

Newton fut étonné de la réponse du jeune homme. Il ne le connaissait pas, semblait-il ! Pourtant, ses vêtements étranges mis à part, il semblait plutôt bien éduqué. Enfin, en-dehors d'une attitude par trop rebelle, et des piercings - Isaac crut à des tortures, et n'osa même pas imaginer d'où ils provenaient.

Toujours est-il que le savant se saisit de la main d'Aaron, et la serra franchement, comme on l'apprend à tout gentleman anglais.

" Ravi de vous rencontrer, Aaron. Un très beau prénom, je dois dire. "

Il se retint d'en faire plus, sachant à quel point certains pouvaient se sentir attaqués lorsque l'on parlait d'eux ainsi. Et un je-ne-sais-quoi soufflait à Isaac qu'Aaron était de ce genre-là.

L'Anglais dévisagea un moment son interlocuteur, avant de reprendre une attitude plus neutre, comme il sied à celui qui veut engager une simple conversation. Il réfléchissait surtout à la dernière question du jeune homme. Question hautement philosophique, à laquelle Isaac ne voulut pas répondre de prime abord, jugeant sa réponse trop choquante.

" Mon nom vous dit sûrement quelque chose à cause de la loi de la gravitation universelle...Vous savez, deux corps s'attirent proportionnellement au produit de leurs masses, et de façon inversement proportionnelle au carré de leur distance... "

Un sourire simple, presque candide, se dessina sur son visage. Comme souvent quand il parlait de ses travaux, Isaac n'arrivait pas trop à envisager qu'on ne les comprenne pas.

" Enfin, je ne voudrais pas me vanter. Que faites-vous dans la vie, jeune homme ? Vous étudiez ? "

Aaron ne réagit pas à la remarque de l'Anglais sur son prénom. Qu'est-ce qu'il en avait à faire en fait ? C'était sûrement un semblant de politesse pour faire celui qui s'intéresse à son interlocuteur. Il savait que chez les "bien éduqués", il fallait dire "bonjour", "merci", "de même" et "au revoir". Mais lui n'avait pas été bien éduqué, ni même éduqué.

Un silence s'installa alors entre les deux hommes. Aaron savait que Isaac était en train de le dévisager comme il l'avait lui-même fait auparavant. C'était une manière d'appréhender l'ennemi, de savoir quelles étaient ses faiblesses et comment le prendre à contre-pieds. Le jeune adolescent avait souvent vécu un moment pareil, lors des prémices d'une bagarre par exemple, lorsque l'autre essaye de trouver un signe de souffrance moral... Mais il était devenu un pro.

L'Anglais reprit alors parole. Aaron ne savait pas s'il avait mal entendu ou si c'était parce qu'il n'était pas concentré, mais il ne comprit pas un mot de ce qu'il venait de débiter. Peu importait en fait, de toutes façons il ne lui aurait certainement pas répondu. Après avoir ressorti une phrase de politesse, Isaac le requestionna. Etudier... Ça faisait longtemps qu'on lui avait pas sorti celle-là. Aaron ne put s'empêcher de sourire d'un air narquois.

"J'étudie, ouais, on peut dire ça comme ça. J'étudie la vie, ses galères et ses merdes."

Il se mit à jouer avec son piercing, une habitude qui lui avait d'ailleurs valu plusieurs infections. Détournant la tête, son regard se posa sur la porte toute proche. Il la regarda sans rien dire un instant puis se retourna vers l'homme.

"Bon alors, c'est quoi ici ? Un hosto ?"